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ENQUETE. Ces petits épiciers du porno qui se battent face à la grande distribution

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"Comme une famille". Le réalisateur John B Root, son assistante de production Claire Bee et des actrices d'Explicite-art. (crédit: Explicite-art)

Ils ne sont plus qu’une poignée d’irréductibles mais ils se battent pour que le porno auquel ils appartiennent continue d’exister. Un porno scénarisé et ambitieux, "moins bête et moins laid" que les films amateurs en ligne qui ont colonisés le paysage du X français. Preuve, parmi d'autres, qu’ils y parviennent encore malgré un marché du film scénarisé moribond : l’entreprise Explicite-art du réalisateur John B Root a inauguré, mardi 22 janvier, HOT explicite, son portail de VOD exclusives sur Free TV (canal 174). Une chaîne autonome est aussi en projet.

"Le porno c’est aussi une entreprise de gens passionnés qui se bagarrent pour montrer une belle image de la sexualité, dans un marché qui ne fait rien pour les aider", revendique le pornographe qui a fondé son entreprise en 1995 et a réalisé plus de 150 films (pour Canal+, DVD, câble et satellite) toujours avec préservatif et sans acte extrême.

"Lumpen prolétariat de l’audiovisuel"

Avec un chiffre d'affaire annuel de 700 000 euros, Explicite-art donne dans le "petit artisanat", reconnaissent ses cinq salariés. "Nous sommes le lumpen prolétariat de l’audivisuel !”, déplore John B Root. “Car si tout le monde consomme du porno, personne ne l’aide”. Toujours en vigueur, la loi de censure de 1975 touche plus lourdement les films X que les autres en leur imposant 10% de taxes supplémentaires sur leurs ventes au Centre National du Cinéma (CNC). Ils sont pourtant exclus, ainsi que les salles qui les diffusent, de toute subvention publique et donc du soutien du CNC.

""L’artisanat des passionnés agonise alors que les réseaux clandestins prolifèrent" (crédit: Explicite-art)

John B Root, Jack Tyler, Ovidie, Christian Lavil, ou encore tout récemment Sophie Bramly…ils sont peu à s’accrocher à leurs ambitions malgré des moyens limités. Pour réaliser un film de 90 minutes pour Canal+, tourné généralement en cinq jours, ces réalisateurs disposent de 30 000 à 40 000 euros. Un budget qui comprend tout : du voyage à la location de matériel technique et de décors, en passant par les droits musicaux et la rémunération de l’équipe.

D’un côté, ce que nous faisons est considéré comme une œuvre cinématographique, de l’autre comme un truc dégueu qui n’a pas le droit d’exister”, relève Jack Tyler. Pour ce réalisateur indépendant, “un cinéaste de film de genre, ce n’est pas le gore ou les effets spéciaux qui vont l’intéresser, mais la façon de mettre en scène. Je suis pareil, je me pose sans arrêt des questions sur ce qui enrobe le sexe : les sentiments, les rapports entre les personnages, les lignes de force", assure-t-il.

Tout pousse à décourager les initiatives créatives”, regrette Ovidie, réalisatrice, écrivaine et directrice des programmes French-lover TV. Connue pour ses réalisations personnelles, celle que les médias étiquettent "intello du porno" comprend néanmoins que le X avec une réflexion et des scénarios puisse ne pas satisfaire les attentes des consommateurs : "le porno n’est pas regardé par des spectateurs mais par des consommateurs à des fins masturbatoires".

Sur le tournage avec Jack Tyler (crédit: Jack Tyler)

En censurant le porno, le législateur a ouvert les frontières aux pirates

Censurée par le législateur en 1975, la pornographie en tant que genre cinématographique s’est vue rangée dans la catégorie séparée des sous-genres avant d’être rapidement propulsée dans le "ghetto cracra du web gratuit". Un point de non retour a été atteint avec les sociétés de sites gratuits comme Manwin, des "pirates" qui pillent les réalisations “artisanales” en rachetant les majors de la production X avec l’argent gagné en diffusant du X piraté sur les chaînes Youporn et Pornhub.

Ces sites sont hébergés dans des paradis fiscaux qui transforment les visites en argent grâce au trafic converti vers une offre payante. "C’est du business mafieux, pas des Robins des bois", estime Grégory Dorcel dans une interview à 20minutes. Proclamé "roi du porno", le co-directeur de Manwin, Fabian Thylmann, a été placé en état d'arrestation en décembre 2012 après son interpellation à Bruxelles pour soupçon de fraude fiscale. “On ne peut pas rivaliser", observe Claire Bee, assistante de production chez Explicite-art. "L’artisanat des passionnés agonise alors que les réseaux clandestins prolifèrent".

Porno intellectualisé n’est pas porno consommé

Co-réalisation entre Ovidie et Jack Tyler (crédit: Ovidie)

Le X amateur est, de loin, le plus consommé, "parce qu’on peut s’y projeter plus simplement : les amateurs dans les gonzos [terme créé en référence au journalisme gonzo, "dans le feu de l'action": quand l'individu tient lui-même la caméra en même temps qu'il tourne la scène, le spectateur voit ainsi la séquence en plan extrêmement rapproché] semblent plus accessibles que les actrices dans un film scénarisé", explique Mathieu Trachman, sociologue à l’EHESS et auteur d’une thèse sur la pornographie hétérosexuelle depuis 1975. Arrêter d’intellectualiser le porno, la solution serait simple. Mais que 70% des consommateurs préfèrent le porno "sale et misogyne" n’empêchera pas John B Root de travailler pour les 30% restants, avec ou sans argent. "Petit épicier, je vends des produits bio face à la grande distribution : sans huile hydrogénée, 100% naturelle, avec des vaches dans les pâturages et des poules en liberté".

Camille Bordenet


Au nom du père, du fils et du Bangladesh

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À travers Desh, Akram Khan dialogue avec son père et renoue avec ses origines Bangladaises. (Photo : Richard Haughton)

Carnet de route intime et premier solo du chorégraphe de renommée internationale, Desh est à ce jour le travail le plus personnel d’Akram Khan. A 38 ans, le danseur dévoile un pan de ses identités mouvantes et rend hommage à la figure paternelle, si longtemps reniée.

« Je n’ai jamais vraiment été patriote parce que je ne me sens jamais entier : quand je suis en Angleterre je me sens Bangladais ; quand je suis au Bangladesh, je me sens Anglais », résume Akram Khan à propos du conflit d’origines qui sous-tend son spectacle.

Dans la première version de Desh, la figure paternelle était totalement absente et toutes les scènes parlaient de sa mère. Trois semaines avant le bouclage, Ruth Little, le dramaturge, confie au chorégraphe : « en ne parlant pas de ton père dans la pièce, tu ne parles en fait que de lui. Tu ne veux juste pas l’admettre ».

Fâché avec tout ce qui a trait à son père et ses origines, le fils nie : « je me suis donné la nuit. Le lendemain matin, c’était une évidence. En trois semaines nous avons changé la narration du spectacle pour faire de mon père le fil conducteur ». Desh commence ainsi par la fin : la mort fictive de son père, Aba. « Quand je lui ai annoncé la mise en scène de sa mort la veille de la première il était un peu contrarié. Après il a surtout été très fier d’être le héros de ma pièce ».

Desh : patrie, nation, terre

Sous le conflit ouvert qu’il a longtemps nourri avec son père se terre une douleur plus enfouie, celle de sa quête identitaire. « Jusqu’à la création de Desh j’étais en colère contre la communauté bangladaise parce qu’ils ne m’ont jamais soutenu dans mon travail. C’est la communauté indienne de l’ouest dans laquelle je n’ai pas de racines qui m’a encouragé et poussé. Les Bangladais sont passifs, ils veulent juste être heureux entre eux et regarder leurs films bollywoodiens. Ils ne sont pas ouverts aux subtilités artistiques, je ne pouvais pas avoir ma place là-dedans ».

Extrait de Desh, l’évocation de la guerre civile contre le Pakistan pour l’indépendance du Bangladesh. (Photo : Richard Haughton)

Danser le père et danser la patrie n’auraient donc « jamais » pu être sa propre initiative. « Je savais que je voulais faire un solo, mais je ne savais pas à propos de quoi. J’ai longtemps pensé que mon identité c’était Londres ». Tim Yip, son directeur artistique (oscarisé pour Tigre et Dragon) l’oriente en douceur le jour où ils font connaissance à Hong Kong.

« Il m’a conseillé de chercher plus loin, de regarder du côté de mes racines, du côté de mes parents et de mes grands-parents, du Bangladesh ». Doucement, Akram apprivoise l’idée et tempère son âpreté. Desh (mot sanskrit qui signifie la « patrie », la « nation » mais aussi la « terre ») devient alors son voyage initiatique en même temps qu’une catharsis qui lui permet de pardonner.

Talon d’Achille du chorégraphe

Pour ouvrir cette nouvelle page, Akram est allé puiser l’inspiration au Bangladesh même, pendant dix jours, entouré de toute son équipe. En ressortent des thèmes difficiles, comme la guerre civile contre le Pakistan pour l’indépendance du Bangladesh, allégés par des moments d’humour émouvants : la trouvaille fabuleuse du dessus de crâne chauve d’Akram maquillé en vieillard, l’enregistrement de la voix d’une petite fille bangladaise fan de Lady Gaga qui raconte un conte ou encore les pas de pop de Mickael Jackson, inépuisable source d’inspiration du chorégraphe. Akram Khan confronte avec tendresse les mondes différents qu’ont connus son père et lui.

Peut-être est-ce pour ne pas trop se dévoiler qu’il a décidé de maquiller sa danse sous une impressionnante couche de décors, rapprochant ce spectacle du cinéma. A aucun moment pourtant la mise en scène épique n’éclipse l’intimité de la danse. Dans des décors immenses et compliqués réalisés par Tim Yip, la chorégraphie parvient à convoquer des sentiments subtils et multiples.

Avec une virtuosité impressionnante, Akram Khan interprète ainsi une multitude de personnages durant une heure et demie, alors qu’il se remet à peine d’une rupture du tendon d’Achille qui l’avait obligé à reporter ses représentations l’an dernier. Créé à Londres en 2011, Desh a nécessité dix-huit mois de répétitions, durant lesquels Akram Khan a invité des artistes comme les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui, Shantala Shivalingappa ou Samuel Lefeuvre à l'épauler dans cette équipée identitaire courageuse et captivante. En choisissant de revenir sur ses origines, Akram Khan est allé jusqu'au bout de lui-même avec sincérité. D’ici ses 45 ans, il songe à une reconversion dans le cinéma, notamment pour tourner un film muet sur Desh, inspiré de l’univers de Charlie Chaplin.

(Akram Khan a l’habitude des décors grandioses comme ici dans Desh : il a chorégraphié la cérémonie d’ouverture des JO de Londres 2012 avec le réalisateur britannique Danny Boyle. Photo : Richard Haughton)

Chorégraphe et interprète ovationné

La retraite semble pourtant loin à l’heure où Akram Khan est l’un des chorégraphes contemporains les plus reconnus de sa génération : Desh a remporté un Laurence Olivier Award et Akram Khan est membre de l’Ordre de l’Empire britannique depuis 2005 pour services rendus à la danse, entre autres de ses prix.

Pour autant, il ne parvient toujours pas à définir sa danse, par peur d’être « enfermé dedans ». Il reconnait être « tyrannique quand il le faut » avec ses danseurs. Pour parler de son style, il évoque simplement une rapidité et une précision des mouvements, le fait qu’il bouge « comme un animal d’eau » ou qu’il emprunte à « toutes les traditions », en faisant converger le répertoire traditionnel kathak à celui de la danse contemporaine. Sa prochaine source d’inspiration verra le jour en mars : il sera père pour la première fois.

Cet article est publié en parallèle sur le pure-player l'Avant-Post

 

Conservation des ovocytes, le débat ravivé

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(crédit AFP)

La congélation des gamètes féminins est, à ce jour, autorisée uniquement pour raisons médicales, dans les cas de cancers notamment. Une société savante d'obstétriciens, qui propose de l'étendre pour convenance personnelle, est sous le feu des critiques.

Mon enquête au long cours sur la congélation sociétale des ovocytes en édition abonnés:

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/11/conservation-des-ovocytes-le-debat-ravive_3158417_1650684.html

Elle sera dans l'édition papier du supplément Sciences&Techno, ce week-end.

FEU VERT. A Saint-Etienne, le Chaudron prêt à déborder

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H-2 avant le match, les Stéphanois sont prêts pour une soirée qu'ils espèrent historique

À une heure et demie du coup d’envoi, place Jean Jaurès, cœur historique de la ville minière, des centaines d'irréductibles lutins verts sont déjà en ébullition. Ce soir un écran géant retransmettra la finale de la coupe de la ligue Saint-Etienne-Rennes en duplex. Le beau temps n’est pas au rendez-vous mais ce n’est pas la pluie qui arrêtera ces stéphanois qui n’ont pas pu obtenir le sésame pour le Stade de France : armés de capuches, de parapluies et de vin chaud, ils soutiendront l’AS Saint Etienne (ASSE) en vert et contre tout depuis leur chaudron. « La folie des verts, c’est merveilleux », se réjouit Gaétan, le visage trempé malgré son grand poncho floqué d’insignes de l’ASSE. Cet étudiant en droit est venu deux heures avant le match pour réserver le premier rang: ce soir sa famille s'installera place Jean Jaurès au grand complet, grands-parents compris. « C’est ça Saint-Etienne, toutes les générations mélangées et soudées par la chaleur des Verts », se réjouit-il d’expliquer aux béotiens. Plusieurs générations de Stéphanois tombent ainsi dans le chaudron vert dès la naissance.

BASTION DU CHAUDRON

« On ne prend plus de réservations, ce soir c’est déjà plein », indique le responsable du Nouveau Comptoir, un bar-restaurant dont les larges fenêtres donnent sur la place Jean Jaurès. Les plus frileux ont décidé de se réfugier au Midi-minuit, côté préfecture, qui retranscrira le match sur grand écran. A l’hôtel du Chaudron vert, juste avant le mythique stade Geoffroy-Guichard, le patron est ravi d’annoncer qu’il a « booké » presque toutes ses chambres pour des supporteurs d’autres villes ayant décidé de soutenir le match depuis le bastion stéphanois, à défaut de pouvoir monter à Paris.

Simone, retraitée, est déçue de ne pas avoir obtenu de place sur les 200 000 demandes parties en quelques heures et pouvant remplir deux Stades de France. Mais qu’à cela ne tienne, ça ne l’empêchera pas de scander ses encouragements avec ses petits enfants. Qui sait, postés à quelques mètres du stade Geoffroy-Guichard qui leur avait porté chance face aux Yougoslaves d’Hajduk Split, le 6 novembre 1974, le souffle de la victoire montera peut-être jusqu’au Stade de France. « Il y a tellement longtemps qu’on attend ça, ils le méritent », s’enthousiasme déjà l'octogénaire au visage peinturluré de vert.

IRRÉSISTIBLES VERTS

Sans titre depuis 1981  (la dernière victoire en championnat de France) et quatrième en Ligue 1, l’ASSE espère concrétiser par un titre une saison jusque-là bien menée. Année de son 80ème anniversaire la victoire de l’ASSE serait le bouquet final. Le maire de Saint-Etienne, Maurice Vincent, assistera même au match au Stade de France. Superstitieux, Gaétan préfère pourtant soutenir les Verts depuis leurs terres qui, malgré la rudesse du charbon, ont fait germer un des clubs favori des français.

Si les Verts figurent parmi les chouchous des Français et que des générations de Stéphanois continuent de leur jurer fidélité c’est qu’ils cultivent leur spécificité : les dirigeants de l’ASSE résistent encore et toujours à l’envahisseur du rachat multimilliardaire étranger. L’histoire et l’identité des Stéphanois est liée à celle de son club fondé en 1919 par le groupe Casino. Officiellement professionnel depuis 1933, l'AS Saint-Étienne atteint son apogée dans les années 1960 et 1970, lorsqu'elle remporte huit titres de champion de France en seulement treize saisons. À cette époque, Saint-Etienne signe la renaissance d’un foot tricolore alors déclinant, et s'attache le soutien indéfectible de générations d'âmes vertes.

Bosnie : vaste coup de filet au sommet de l’Etat

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Corruption, trafic de drogues, crime organisé. Une opération d’envergure a été menée hier par la police bosnienne. (crédit: Oslobodenje)

Alors que la Bosnie-Herzégovine ne parvient pas à sortir de la crise politique qui l’empoisonne depuis plusieurs années, l’arrestation du président de la fédération bosno-croate, Živko Budimir, accusé de corruption, aggrave la situation. Les intérêts divergents des partis nationalistes continuent de bloquer toute réforme, malgré l’objectif commun de candidater pour l’entrée dans l’Union Européenne. 

Dans le cadre d’une opération anti-corruption, les services de sécurité bosniens (SIPA) ont arrêté vendredi 26 avril après-midi Živko Budimir, le président de l'entité bosno-croate, appelée Fédération de Bosnie-Herzégovine (FBiH). Depuis les accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en 1995, la Bosnie est divisée en deux entités, la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine, peuplée à majorité de Croates de Bosnie et de Bosniaques, et la République serbe de Bosnie - appelée Republika Srpska - peuplée principalement de Serbes de Bosnie.

A l'occasion de ce vaste coup de filet, 18 autres personnes ont été interpellées dont Petar Barišić, le conseiller de Živko Budimir et Hidajet Halilović, le chef de la Commission des amnisties de la Fédération. Tous trois sont accusés d’avoir accepté des pots-de-vin pour amnistier des narcotrafiquants, mais aussi d’abus de pouvoir, des infractions pénales pour lesquelles l’immunité parlementaire ne peut pas être invoquée.

Plus tôt dans la journée, la police bosnienne a perquisitionné le cabinet de travail de Živko Budimir, à Sarajevo et à Mostar, et a fouillé plusieurs appartements dans la fédération. Le procureur du canton de Sarajevo, Oleg Čavka, a confirmé à la presse locale qu’une enquête « pour déterminer les origines des pots-au-vin » était en cours mais il n’a pas souhaité donner plus de détails.

24 500 euros par prisonnier amnistié

D’après les médias locaux, en tant que président de la Fédération, Živko Budimir aurait ainsi accepté 162 demandes de grâce pour des prisonniers condamnés pour des crimes aussi graves que la tentative de meurtre. Selon les accusations, Budimir aurait touché des pots de vins de 24 500 euros par prisonnier amnistié (47 000 KM, la monnaie locale).

Après l’arrestation, Živko Budimir et ses collaborateurs ont été conduits au siège de la SIPA, l’agence spéciale de la police bosnienne qui s’occupe de la lutte contre le crime organisé. Selon le Courrier des Balkans, l’avocat en charge de la défense, Branka Praljak, a déclaré vendredi soir que Živko Budimir est « optimiste : il est innocent et il ne veut pas demander l’immunité politique », qui lui serait accordée sur la base de la Constitution de Bosnie-Herzégovine.

Živko Budimir, né en 1962, appartient au Parti croate des Droits (HSP), la droite nationaliste qui faisait partie du gouvernement sortant de la Fédération croato-bosniaque avant la grave crise politique qui a interrompu les travaux des institutions de l’entité.

Pays le plus corrompu d’Europe

Selon le classement mondial établi par Transparency International, si la corruption se porte bien dans tous les pays des Balkans, la Bosnie-Herzégovine, forte de la 99ème place mondiale sur 180,  conserve le titre peu enviable de pays le plus corrompu d’Europe.

Une corruption qui se  développe à tous les niveaux, depuis les grands détournements de fonds publics jusqu’à la petite corruption qui gangrène la vie quotidienne. « Les élites politiques sont le moteur de la corruption en Bosnie-Herzégovine », explique Srdjan Blagovčanin, le directeur de Transparency International dans le pays. « La petite corruption, qui touche des secteurs tels que la santé, l’éducation, l’administration et la police trouve son origine dans de plus grandes escroqueries ».

Mais pour Oleg Čavka, procureur du canton de Sarajevo, « le vrai problème est la corruption de haut niveau. Il y a des centaines de millions d’euros liés à la corruption au plus haut niveau politique et à la politique de privatisation. Ce système est presque intouché. Les procureurs au niveau cantonal ne sont pas armés pour faire face à des enjeux aussi énormes, pour mettre en accusation des ministres. Et la majorité d’entre eux n’osent pas y toucher », souligne-t-il. Une corruption liée au contrôle par les partis politiques de territoires entiers au niveau des terrains, de l’immobilier ou des compagnies publiques.

Selon la presse locale, chaque citoyen de Bosnie-Herzégovine paye en moyenne 126 euros annuel de bakchich pour la santé. « Mon frère devrait être opéré de la jambe. Ma famille a dû payer 1000 marks (500 euros) à l’hôpital pour qu’il puisse être opéré plus vite et avoir une chambre », raconte ainsi Bojana Pejovic, une lycéenne de 17 ans originaire de Pale en Republika Srpska (la zone serbe de Bosnie). Avec environ 213 euros de revenus annuels issus de la corruption, les professeurs d’Université se montrent encore plus exigeants. Cette somme représente plus de la moitié du salaire mensuel moyen dans le pays.

Le "FBI à la Bosniaque" a réussi à arrêter Živko Budimir, le président de la Fédération de Bosnie accusé de corruption (crédit: Oslobodenje)

" A quoi bon voter, rien ne bougera"

Cette corruption normalisée participe du désintérêt des citoyens pour la politique, surtout chez les jeunes qui boudent massivement les urnes : « à quoi bon voter ? les citoyens sont conscients que les gros poissons de la politique restent impunis et que rien ne bougera », explique Amra Plasto, 25 ans et étudiante en littérature à l’université de Sarajevo.

Les recommandations de la Commission européenne restent lettre morte, et les lois qui sont adoptées ne sont pas appliquées. Malgré l’objectif commun de se porter candidat à l’entrée dans l’Union Européenne, les politiciens ne semblent toujours pas décidés à s’attaquer réellement au fléau de la corruption qui obère toutes les perspectives européennes du pays.

La corruption, fruit de l’imbroglio institutionnel

Cette corruption est la conséquence directe d’une organisation institutionnelle extrêmement complexe née des Accords de Dayton qui ont mis fin à la guerre en 1995. Impossible à réformer, la Constitution de la Fédération bosnienne est aujourd’hui devenue une réelle entrave pour la démocratisation du pays et son développement économique.

Non seulement le pays est divisé en deux entités (la Republika Srpska et la fédération croato-bosniaque) avec chacun son gouvernement et sa police, mais la fédération croato-bosniaque est elle-même divisée en dix cantons avec chacun un gouvernement et une police. Même souci au niveau judiciaire, où le parquet d’Etat n’a pas d’autorité sur les niveaux inférieurs (sauf pour les crimes de guerre). Et il n’y a pas de Cour suprême pour trancher les conflits de compétence.

Pour Oleg Čavka, le procureur du canton de Sarajevo, « cette segmentation est le problème clé. Les polices des cantons sont indépendantes les unes des autres, cela conduit à des rivalités, à l’absence de partage d’informations, à l’inefficacité. La collaboration dépend de la bonne volonté des individus, ce n’est pas normal ». De plus en plus d’initiatives réclament une rationalisation administrative avec en ligne de mire, les cantons.

Sorte de FBI créé en 2003 pour enquêter sur le crime organisé et les crimes de guerre, la SIPA qui vient d’arrêter le président de la Fédération de Bosnie, Živko Budimir, est ainsi le fruit d’une mission européenne visant à appuyer les institutions au niveau fédéral, pour outrepasser l’imbroglio des pouvoirs locaux. Sous l’impulsion de certains procureurs et de la police fédérale, certaines affaires commencent ainsi à sortir.

 

Politique academy au Liban

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A un mois des élections législatives libanaises prévues en juin, la chaine Al Jadeed a révolutionné le paysage politique avec une nouvelle émission de téléréalité : Al-Zaïm. Pendant deux mois, de jeunes aspirants à la politique ont tenté de gagner le cœur des Libanais et de convaincre le jury en s'affrontant dans une série d'épreuves destinées à évaluer leur potentiel de leader. Très attendue, la finale a lieu mardi 7 mai.  

Qui de Maya Terro et Nicola Harouni remportera la finale d'Al-Zaïm et gagnera sa place au Parlement libanais ? Réponse mardi soir (crédit: Al-Zaïm)

A première vue, rien d’original. Ils s’appellent Maya, Nicola, Ne’mat ou Myriam et font partie des quinze candidats - pour la plupart totalement inconnus du public – qui se sont affrontés, des semaines durant depuis février, sous l’œil de caméras et de jurés impitoyables. Mais à la clé, ni chèque ni contrat avec une maison de disque. Le vainqueur de l’émission de téléréalité libanaise Al Zaïm ("le leader") gagnera le droit de se présenter aux prochaines élections législatives prévues en juin, sans étiquette politique. Une première puisque le système parlementaire libanais se fonde sur la répartition confessionnelle des pouvoirs politiques.

Plus séduisant encore : l'intégralité de la campagne de communication du vainqueur sera financée par l'émission. Mais qu'à cela ne tienne, ils ne seront pas déchargés de débourser les 2 millions de livres libanaises LBP (environ 1000€) pour les frais d'inscription, obligatoires pour tout candidat aux législatives, sans compter les 6 millions LBP  (3000€) de garantie assurance, comme indiqué sur le site du Parlement.

Maya Terro est la benjamine de l’émission et la seule qui n’avait aucune expérience politique antérieure. Elle est donnée pour favorite (crédit: Al-Zaïm)

Avec plusieurs défis à réaliser, les candidats, répartis en équipe, se sont affrontés cinq soirs par semaine sur les ondes de la chaîne de télévision Al Jadeed. Une victoire de l'équipe assure à ses membres l'immunité, tandis que l'élimination menace le plus mauvais élève de l'équipe perdante. Les derniers finalistes qui s’affronteront dans quinze jours sont la benjamine Maya Terro, donnée favorite, et le trentenaire Nicola Harouni, controversé pour son passé présumé au sein des Forces Libanaises.

Vent de jeunesse sur la vie politique libanaise

Faire de la politique autrement, en donnant la parole aux jeunes pour qu’ils puissent changer les mentalités et dénoncer le système actuel sans héritage politique ni argent, telle est l’ambition annoncée de l’émission. Le pari semble réussi, puisqu’au cours des semaines les candidats s’en sont pris à la corruption qui gangrène leur pays et ont soutenu les manifestations des ouvriers et des fonctionnaires. Al-Zaïm a reçu la bénédiction du président libanais Michel Suleiman qui a participé à l’ouverture de l'émission, le 26 février.

Selon la conceptrice de l’émission Karma Khayat, « en donnant la possibilité aux citoyens ordinaires de se lancer dans l’arène politique, Al-Zaïm pourrait bouleverser les mœurs politiques d’un pays encore largement dominé par les clans familiaux », et plus récemment par de nouveaux milliardaires. Karma Khayat codirige le département des nouvelles et des programmes politiques de la chaine Al Jadeed, située dans les quartiers ouest de Beyrouth.

Nabilla libanaise

Malgré ses bonnes intentions annoncées, le concept d’émission mélangeant politique et divertissement n’a pas manqué d’attiser la colère: certains détracteurs dénoncent le choix de participants parmi des personnalités controversées. La participation de la chanteuse Myriam Klink n’est pas passée inaperçue : sorte de Nabilla libanaise version peroxydée, Myriam est adulée par une partie de la population en même temps qu’elle déchaine les foudres des mouvances les plus conservatrices. « Le concept n'est pas de choisir des doctorants, mais des gens du peuple. Des dizaines de milliers de Libanais s'identifient à Myriam Klink », se défend Karma Khayat.

Qu’il s’agisse de ses clips ou de ses discours improvisés, la star n’hésite pas à utiliser sa plastique sulfureuse pour dénoncer d’importants abus de pouvoir. Lors d'un épisode consacré aux problèmes d'électricité dans le nord du pays, Myriam Klink n'a pas hésité à arpenter les rues de Tripoli, perchée sur ses talons aiguilles. La balade a  toutefois été écourtée par des salafistes armés qui ont chassé toute l'équipe en projetant une grenade aux pieds de la star.

Après six semaines de « guerre psychologique », la blonde sulfureuse s'est finalement retirée de l'émission au début du mois d'avril en promettant de continuer sa carrière politique de son côté. « Les autres candidats tentaient de détruire ma fougue. J’ai donc décidé de leur laisser la place et de continuer mon combat politique pour être élue au Parlement sans l’émission. Je n’ai jamais eu peur de me battre même dans les régions les plus fanatiques. Je me donne à fond pour le peuple libanais. Il faut qu’on sorte de cette impasse politique !», confie-t-elle.

Une bataille que Myriam Klink poursuit par la chanson, et ce malgré l’échec de son clip « Klink révolution » qui lui a valu d’être la risée des réseaux sociaux. « Je mets juste des mots sur la réalité, ce qui insupporte certains ! Une chanson touche plus vite et plus longtemps qu’un discours.  Mixer la politique et la musique est ma meilleure arme ».

Extrait de la chanson "Moi je suis la Klink et je veux parler de ce qui se passe au Liban: des roues qui brûlent, des routes abimées. Ne détruisez pas le Liban. Les responsables sont absents. Partir est la solution. Mon pays est mal en politique. Regardez où on en est au Liban, on ferme les routes mais on agrandit les feux. Ses couleurs sont les plus belles. Les histoires en Syrie divisent le pays. Arrêtez de brûler les roues, on en a marre de la casse et des histoires. Liban, je t'aime." Traduction: Acyle Koussa

Des élections législatives incertaines

La controverse déclenchée par Myriam Klink n’est que la partie visible de l’iceberg. Parmi les principales attaques contre l’émission, c’est surtout l’instrumentalisation des problèmes politiques surannés du pays qui exaspère.

« Penser qu’une émission permettra de faire rentrer un nouvel arrivant au parlement est un leurre. Le système communautariste est plus que jamais verrouillé. Seuls les partis qui ont leurs sièges réservés ont les moyens de faire entrer qui ils veulent », explique Ghassan Rachidi, un radiologue franco-libanais.

Ce quarantenaire qui a connu le vent de laïcité du Liban d'avant la guerre civile refuse de se faire des illusions : « changer véritablement le paysage politique passe par la suppression du système confessionnel. Les rares partis anti communautaristes sont quasiment inexistants (parti communiste) ou sont présents au parlement avec un ou deux députés grâce à l’appui des partis communautaristes (Parti National Syrien) auxquels ils sont affiliés », poursuit-il.

Ainsi, à défaut d’avoir véritablement sa place au Parlement, le vainqueur de l’émission pourrait, au mieux, « se faire enrôler dans l’un des partis communautaristes », estime Ghassan Rachidi.

Qui plus est, les élections législatives prévues pour juin 2013 s’annoncent houleuses et pourraient être reportées. Le pays du Cèdre qui compte 18 communautés religieuses hésite à adopter un nouveau système électoral : les électeurs de chaque communauté religieuse voteraient exclusivement pour les représentants de leur propre communauté.

« Les différentes communautés se disputent sur la nouvelle loi en préparation car selon le mode de scrutin choisi, cela peut favoriser une communauté plutôt qu’une autre ! Ce n'est pas cette émission qui y changera grand-chose », déplore Ghassan.

Médias encartés

Jusque dans le choix des jurys de l’émission, la production aura pris garde d’équilibrer les parties. Quatre journalistes de notoriété ont été choisis : Mariam Al-Bassam de New Tv Lebanon est une journaliste de gauche très respectée, Ibrahim Al-Amin est un éditorialiste du journal de gauche Al-Akhbar – qualifié de pro-Hezbollah par les médias occidentaux-, Raghida Dergham est rédactrice du journal pro-occidental Al-Hayat, enfin Eli Khoury est un publiciste politique de droite connue pour son soutien à l’occupation américaine en Irak.

Malgré cet équilibrage apparent, dans un pays où huit des neuf réseaux télévisés sont directement affiliés à un parti politique ou à une faction religieuse, Al Jadeed ne fait pas exception. Son fondateur, Tahsin Khayat – le père de  Karma Khayat, conceptrice de l’émission - est un puissant homme d'affaires musulman sunnite de Beyrouth qui n'a jamais caché ses ambitions politiques.

Les jurys de l'émission sont des journalistes de tous bords politiques au Liban (crédit: Al-Zaïm)

Il serait ainsi envisageable qu’il « utilise cette émission pour se rapprocher de ses objectifs politiques, à savoir accéder au poste de premier ministre », explique l’analyste politique et journaliste Carol Malouf au site La Presse.

« Il peut par exemple identifier, à travers les votes du public et leur réaction aux enjeux abordés, ce qui préoccupe les Libanais», poursuit-elle.

Un concept qui séduit les voisins

Al-Zaïm n'est pas la seule chaîne de télévision à délaisser concours de talents en tous genres pour se concentrer sur la politique.  En Palestine, la chaîne Maan avec son émission Al Raïs ("le président"), permet à 25 candidats de s’affronter un jeudi soir par mois. Tour à tour, les jeunes candidats se présentent devant le jury et s'efforcent de répondre au mieux à des questions sur la vie politique palestinienne.

En France, Marc-Olivier Fogiel avait tenté l'expérience l'année passée avec Qui veut devenir président ? sur France 4, mais l'émission n'avait pas marché, avec seulement 0,7 % de parts de marché.

Précurseur en la matière, le Canada a aussi eu son télé-crochet politique, Canada's Next Great Prime Minister, entre 2006 et 2008. Populaire, le show avait d'ailleurs été diffusé en Allemagne par la suite. Très inspirées par la version libanaise d'Al-Zaïm, les productions égyptiennes veulent déjà acheter le concept pour l’adapter dans leur pays.

 

Ni bonnes ni nonnes ni pigeonnes : nouveau cri de colère des infirmières

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En 1988, les infirmières défilaient dans les rues au cri de “Ni bonnes, ni nonnes, ni connes”. Vingt-cinq ans plus tard, c’est le slogan “ Ni bonnes, ni nonnes, ni pigeonnes ” qui est devenu la bannière sous laquelle se retrouvent les infirmières et d’autres catégories de soignants. (crédit: Camille Bordenet)

Charnières indispensables entre les médecins et les patients, sans elles rien ne serait possible dans le monde hospitalier. Regroupées au sein de l’association « Ni bonnes ni nonnes ni pigeonnes » (NBNNNP) les infirmières et les aides-soignantes ont manifesté dimanche 12 mai à l’occasion de la journée internationale des infirmières. 

Venues des quatre coins de l’Hexagone, plus d’une centaine de blouses blanches floquées de têtes de pigeons [en référence au mouvement des entrepreneurs "We are pigeons"] ont conflué vers les marches de l’Opéra Bastille, ce dimanche 12 mai après-midi, pour soutenir la manifestation de leur association « Ni bonnes, ni nonnes, ni pigeonnes »

« Écoute-nous Marisol ou on te met la camisole », « La rentabilité nous a tuées », « Soignants-soignés, tous unis pour la santé » : slogans et colère battent le pavé de la place de la Bastille. Ces aides souriantes qui perdent un peu le sourire protestent contre la pénibilité et la dégradation constante de leurs conditions de travail, qui ont pour conséquences « catastrophiques » la mise en danger du patient, le risque accru d’erreur professionnelle et la détérioration de leur état de santé.

« Il faut aller vite tout le temps et nous ne prenons plus le temps avec les patients. Maintenant une infirmière fait le travail de deux ou trois. Nous consacrons cinq minutes au patient alors qu’il faudrait lui offrir au moins une demi-heure », dénonce Alexandra Saulneron, porte-parole de l’association. « Ça devient ingérable. Nous voulons que soit établi un véritable quota soignants/patients. Que dans chaque service on sache combien de soignants peuvent s’occuper de combien de patients », poursuit-elle.

Alexandra Saulneron. Pour cette infirmière libérale de Saint-Germain-en-Laye, le porte-parolat de l’association s’est imposé comme une « évidence ». (crédit: Camille Bordenet)

Adepte des actions coup de poings et n’ayant pas hésité à s’allonger dans des housses mortuaires pour dénoncer la « mort de leur profession » le 23 mars derniers, les supers nurses de NBNNNP affirment qu’elles iront « jusqu’au bout » pour se faire entendre du gouvernement.

Les barricades sont pourtant loin d’être tombées : « la ministre a expliqué ne pas avoir le temps de nous recevoir, donc nous allons essayer d’obtenir le soutien d’un syndicat qui pourra ensuite faire pression auprès du ministère de la santé si nous déposons une motion », explique Alexandra.

Forte de la symbolique de la journée internationale des infirmières, le but de la manifestation est aussi de gagner en visibilité auprès des soignés.  « Il faut qu’on soit partout », explique la présidente. Car si l’ambiance est au rendez-vous et l’échantillon de manifestants représentatif des régions, peu de soignants se sont mobilisés et plus rares encore se font les jeunes. « Souvent non titulaire et donc en situation de précarité, le jeune personnel ne s’autorise pas à parler ou à dénoncer ses conditions de travail, par peur de perdre son emploi », explique Anne Wallet, aide-soignante à l’hôpital d’Arras, dans le Nord Pas de Calais.

Pour venir à la manifestation, Anne Wallet a opté pour la solidarité du covoiturage avec deux consœurs rencontrées sur les réseaux sociaux. (crédit: Camille Bordenet)

Patients déshumanisés

Malgré sa charge de travail « incommensurable », cette quadragénaire assure que son amour du métier est demeuré intact. « Ma plus grande frustration n’est que la conséquence de ma passion : ne plus pouvoir accompagner le patient comme il se doit. On nous demande de faire du rendement, de ne traiter que la pathologie. Ce qui faisait le propre de notre métier, soigner, n’a plus lieu d’être. Le patient est déshumanisé, il n’a plus d’histoire, c’est un client », confie la jeune femme.

Stéphane Lapointe, administrateur de NBNNNP a aussi permis de grossir les rangs masculins d'une manifestation très féminine ! (crédit: Camille Bordenet)

Vocation contre rentabilité

« J’ai choisi ce métier par vocation pour le soin, pas pour la rentabilité. L’humanité s’envole alors que la santé devrait être prioritaire dans un état de droit ». Ce cri du cœur vient cette fois de Stéphane Lapointe, infirmier libéral à Nancy et administrateur de NBNNNP. Il s’est engagé dans l’association pour empêcher « la dérive de notre système de soin juste et solidaire vers les modèles libéraux du Canada et des Etats-Unis ».

 

Pour Florence Ambrosino, le noyau du problème est que « le temps soignant, c’est-à-dire tout ce qui concerne l’accompagnement des patients en dehors des actes médicaux, n’est plus rémunéré » (crédit: Camille Bordenet)

Se battre pour les jeunes qui arrivent

Coordinatrice d’un réseau de santé à Marseille, Florence Ambrosino n’a pas hésité à traverser la France en TGV pour venir soutenir la manifestation. « A cinquante ans et avec plusieurs formations, je fais presque partie des privilégiés de la profession mais j’ai trop à cœur de me battre pour les jeunes qui arrivent et bossent quatre à cinq week-ends d’affilée dans des conditions déplorables ». A quinze ans de sa retraite, Florence gagne 2100€ nets par mois.

"J'adore mon métier, mais je ne suis pas satisfaite de la façon dont je le pratique", Laurence Bregeon, dans le soin depuis 1989 (crédit: Camille Bordenet)

20 suicides de soignants en 2012

« E-pui-sée ». Ces trois petites syllabes barbouillées en rouge sur la blouse immaculée de Laurence Bregeon sonnent le glas. Infirmière urgentiste en Eure-et-Loir, elle dénonce « l’abattoir des urgences : avec 120 à 130 patients par jour, c’est du travail à la chaîne auquel nous n’avons pas les moyens de répondre ». Témoin de la souffrance de ses pairs, Laurence rappelle les chiffres : « 20 suicides de soignants en 2012 ». Positive malgré tout, elle salue le rôle fédérateur de l’association NBNNNP qui lui a redonné espoir et permet de casser l’isolement des soignants.

 

Le Frotox va-t-il détrôner le Botox ?

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(crédit: Getty images)

Le Botox semble avoir pris quelques rides. Aux Etats-Unis et en Europe un dernier avatar fait le bonheur des chirurgiens esthétiques : le Frotox. En lieu et place de la toxine botulique injectée sous la peau de millions de patients depuis quinze ans, un gaz frigorifique gèle les nerfs frontaux et lisse les rides instantanément. Tour d'horizon de ce nouveau dispositif, loin d'être au dessus de tout soupçon. 

On pourrait croire à un nouveau scénario de science fiction sur la cryogénisation. Pourtant, rien d'irréel dans cette avancée présentée comme décisive par ses promoteurs dans le monde de la chirurgie plastique. A l’origine développé à des fins médicales de lutte contre la douleur dans les tissus nerveux, le Frotox (de l’anglais Focus Cold Therapy), a rapidement dévoilé ses charmes anti-âge. Conçue dans la Silicon Valley, cette technique de "cryoneuromodulation" – aussi appelée "Coldtox" – paralyse les nerfs du front par l’injection d’un gaz glacé, avec pour effet le lissage des rides.

Age de glace

Appelé "Iovera", l'appareil générateur de froid ressemble à un gros stylo high-tech avec une base et un embout à usage unique surmonté de trois petites aiguilles. Glacées entre
- 40° et - 60° par du dioxyde d’azote, ces aiguilles paralysent le nerf frontal par des applications rapides de trente secondes sur chaque tempe, pouvant être répétées jusqu’à huit fois en fonction de la peau.

L'appareil Iovera qui permet la cryothérapie ciblée est commercialisé par la société américaine Myoscience (crédit: Myoscience)

L’objectif ? Une "destruction temporaire des fibres nerveuses qui se rendent au front", explique le Dr Valérie Fraeyman, ce qui lisse les rides horizontales, puisque les muscles ne reçoivent plus l’influx nécessaire à leur contraction. La séance se fait sous anesthésie locale au niveau des tempes et ne dure qu’une vingtaine de minutes.

Selon les études réalisées par la société Myoscience Inc., à l'origine de la Focus Cold Therapy, les effets dureraient jusqu’à quatre mois. Une promesse que le Dr Fraeyman préfère nuancer : "En réalité, le résultat dure de deux mois et demi à quatre mois."

Papy Botox a de beaux restes

Les promoteurs du Frotox font valoir les avantages de la technique par rapport à son aînée : plus naturelle que la toxine botulique, la cryothérapie ciblée utilise la réponse du nerf au froid sans introduction de corps étranger ni risque de bactéries. Au niveau des résultats aussi : ils seraient immédiats avec le Frotox, alors qu’ils sont stabilisés au bout de dix jours pour le Botox. "On peut observer le jour même les effets antirides du traitement, contrairement à la toxine botulique, qui met plusieurs jours à être efficace", affirme ainsi le Dr Valérie Fraeyman. Surtout, le Frotox ne produirait pas le risque d’accoutumance qui peut exister avec la toxine botulique.

Mais si certains annoncent déjà la mort du Botox, le roi de l'anti-âge semble avoir de beaux restes. Utilisé à des fins esthétiques depuis plus de quinze ans pour traiter les rides d’expression de millions de patients dans le monde, il demeure inégalable en matière d’efficacité, puisqu’il agit au niveau du muscle, et non du nerf.

Encore limité, le Frotox ne traite que les rides du front, contrairement au Botox, qui peut cibler plusieurs zones du visage, notamment les pattes d'oie et la fameuse ride du lion. Autre inconvénient du petit nouveau : le coût de la séance, environ 400 euros, soit le prix d’une injection de toxine botulique, mais pour un résultat moins durable.

Branche faciale du nerf frontal ciblée par l'appareil Iovera (crédit : Metamorphia, Dr Fraeyman)

Dispositif non déclaré en France

Approuvé il y a quelques mois par l’office américain de contrôle des produits pharmaceutiques et alimentaires (FDA) à des fins antalgiques, Iovera vient d'obtenir le certificat de conformité européenne (CE) permettant sa mise sur le marché, cette fois en tant que dispositif médical de chirurgie esthétique.

Mais pour commercialiser un dispositif médical en France, l'obtention du marquage CE doit être complétée par une déclaration du produit auprès de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Le laboratoire Vivacy, qui vend Iovera en France, affirme avoir déposé sa déclaration à l'ANSM courant mai 2013. A ce jour pourtant, l'Agence a assuré n'en avoir "aucune connaissance".

Le laboratoire Vivacy tient toutefois à approfondir les études cliniques et les tests préliminaires, pour prouver l'innocuité de son produit. Il a aussi indiqué qu'il ne proposerait la technique qu'en tant que dispositif médical de chirurgie esthétique, et non en tant que médicament anti-douleur, contrairement aux Etats-Unis.

La Focus Cold Therapy restera donc encore quelques mois dans le domaine de la recherche. "Elle a été testée sur plus de 300 patients aux Etats-Unis à des visées antalgiques, et pour le moment, seulement sur quelques dizaines de patients en France à des fins esthétiques", atteste Valérie Fraeyman.

Scénario catastrophe

Certains scientifiques soulignent qu’à force d’écarts de températures répétés, le nerf refroidi pourrait rester définitivement inerte. Après des études pré-cliniques sur l’animal, la société Myoscience certifie qu’à - 80 °C, la destruction du nerf serait toujours réversible et les fibres se reconstruiraient progressivement. Un scénario catastrophe est toutefois envisageable : que se passerait-il si l’appareil s’emballait et générait un froid trop intense, ou que le médecin ne piquait pas au bon endroit ?

Le Dr Fraeyman pondère : "Il y a plus un risque d’inefficacité qu’un risque de blessureThéoriquement, une lésion nerveuse définitive survient pour un froid de - 110°C. La cartouche du Iovera est bridée pour ne pas refroidir à plus de - 80°C : on est donc loin des températures dangereuses." 

Elle rappelle que l’évaluation de la zone à traiter doit être faite avec précision par électro-stimulation pour ne pas toucher les branches du nerf qui se dirigent vers la paupière supérieure ou d’autres zones indésirables, "sinon, comme pour la toxine botulique, une chute de la paupière est possible". Sans compter d'autres effets indésirables pointés du doigt : migraines, rougeurs et hématomes survenus sur certains patients ayant servi de cobayes.

 


Un anonyme nu dans le salon

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Projet photographique d’Idan Wizen, Un anonyme nu dans le salon donne à voir des inconnus ayant accepté de poser dans leur plus simple appareil. Lancé en 2009, le projet ambitionne de réunir plusieurs milliers de modèles de tout âge, de tout gabarit et de tout horizon, dans une démarche artistique et engagée. 

 

« Mettre le monde à nu pour le regarder autrement » : cette démarche anime le photographe franco-israélien Idan Wizen depuis avril 2009. A l’origine, une idée simple : et si l’on regardait les gens tels qu’ils sont réellement ? « La meilleure manière que j’ai trouvée pour faire tomber le costume au sens figuré est de le faire tomber au sens propre », explique-t-il.

Ainsi est né le concept d’Un anonyme nu dans le salon. Pourquoi dans le salon ? « La finalité des œuvres est d'être accrochées et visibles de tous. Quel meilleur endroit que le salon ? ». Un titre qui a vocation à offrir une alternative aux photos encadrées chez nous, « type mariage du cousin, où nous sommes tous sur notre 31,  dans une pose convenue avec un sourire figé », se plait à expliquer le photographe de 28 ans.

« Avec ce titre et ces photos, je souhaite que chaque acquéreur d'une œuvre puisse voir le modèle qui s'est livré à 100% comme un membre imaginaire de sa famille ; comme l’être à qui il a envie de se confier, de raconter sa vie, ses succès et ses échecs. Un concept entre l'ami imaginaire 2.0 et le psy à domicile totalement nu ! »

"La décoiffante" a obtenu le 2nd prix du PhotoShoot Awards 2013 dans la catégorie "danse et mouvement" (crédit: Idan Wizen)

Grande-tante gâteuse et psychiatre ont donc été troqués contre des hommes et femmes ordinaires venus avec l’envie de se mettre à nu. « L’aède », « L’escrimeuse », « Le rappeur », « L’anachorète », « Le quantique » font partie des 384 anonymes qui ont posé entre 2009 et aujourd’hui pour les cinq séries successives du projet : Genèse, Persévérance, Arles, Obstination et Névrose, la série en cours.

Chaque corps peut devenir une œuvre d’art

Pour glaner ces modèles aux corps « vrais », l’absence de casting est la règle d’or : « Ça doit venir d’une démarche volontaire, je ne veux pas sélectionner des modèles professionnels. Chaque corps a sa place pour devenir une œuvre d’art ». Comment alors entendre parler du projet ? « Par le bouche à oreille ou par sa visibilité sur les réseaux sociaux ». Ensuite, les candidatures se font directement sur le site.

La recette semble fonctionner puisqu’Idan Wizen réalise six à huit séances de photos par semaine, d’une durée de deux heures et demi chacune. Avant chaque shooting, le photographe accorde un entretien d’une demi-heure au modèle pour connaître ses motivations, ses craintes et un peu de son histoire. « Sans doute parce qu’ils ont soudainement peur, beaucoup de modèles se rétractent et me posent un lapin », regrette l’artiste.

Lutter contre le diktat des corps parfaits

Donner à voir des corps nus mais surtout des visages, des sourires, des regards : « j’aime à dire que je ne fais pas du nu artistique mais des portraits de gens nus ». Les clichés se doivent d’être « toujours sensuels, délicats mais jamais pornographiques », estime Idan.

Fort d’une triple réflexion sur la beauté, la pudeur et l’attirance, le photographe espère dépasser la simple esthétique : « à travers ces clichés, on peut voir une transcendance de la beauté humaine universelle ».

"Nos corps, les corps des gens que l'on croise dans la rue, au travail ou au supermarché sont pleins d'imperfections. Ces imperfections font pourtant qui nous sommes", Idan Wizen (crédit: I.W.)

Une authenticité retrouvée pour lutter contre le diktat des apparences et l’uniformisation de la société ? La démarche semble utopique, à l’image du visage chérubin d’Idan.

La magie fonctionne toutefois pour certains : « quand on regarde ces clichés où chacun peut se retrouver au détour d’une courbe, d’un sourire malicieux, d’un bourrelet ou d’une silhouette frêle, on se sent bien, juste bien », confie un acquéreur régulier des photos du projet.

Quand il n’expose pas, Idan Wizen vit de la vente de ses tirages : une dizaine par mois pour des prix dépendants de la taille des formats. La plupart de ses expositions ont lieu à l’étranger (New York, Miami, Osaka) car, selon lui, les galeries parisiennes seraient « réticentes » à exposer des nus. « Pourtant le nu est né en même temps que l’art », regrette-t-il.

Fantasme plus sain

Avec ce projet, Idan Wizen souhaite pourtant récréer un fantasme « plus sain » car « plus ancré dans la réalité ». Déplacer la focale du fantasme sur des gens normaux en leur offrant les conditions de se voir sous un autre angle serait un « pied de nez » aux stéréotypes culpabilisants des mannequins retouchés sur papier glacé. « Chacun peut être magnifique s’il est regardé différemment », assure le portraitiste.

L’un des modèles confie qu’il n’avait jamais aimé son image : « Je me trouvais laid. Mais après avoir vu les photographies, je me suis découvert sous un nouvel angle, et je n’aurai jamais cru pouvoir le dire, ou même le penser… Mais je me suis trouvé beau ».

Photothérapie

Moins revendiqué, l’un des aspects du projet est thérapeutique. « J’évite d’employer ce terme. Mais la plupart des modèles n’arrivent pas au studio par hasard : ils ont souvent besoin de franchir un cap et de réaliser un défi », explique Idan. Il reste marqué par le modèle en fauteuil roulant, ou la jeune femme qui a dévoilé sa cicatrice, dernière empreinte de son opération à cœur ouvert.

"Chaque personne peut apporter quelque chose en tant que modèle si elle ne joue pas un personnage, est authentique et laisse exprimer ses émotions" Idan Wizen (crédit: I.W.)

Plusieurs modèles comparent ainsi leur expérience à « un saut en parachute ». Un anonyme confie que cette expérience a changé le rapport et le regard qu’il a sur son corps : « J’ai  envie de m’en occuper, de m’embellir, d’en prendre soin afin de pouvoir renouveler une telle expérience. J’ai appris à m’apprécier, à me regarder différemment ».

Pour ne pas réduire la création aux modèles parisiens, Idan Wizen prévoit une tournée des régions françaises en 2014. Avec deux nouvelles séries en construction, Un anonyme nu dans le salon est loin d’être terminé. « J’arrêterai quand j’aurai six milliards de modèles », s’amuse l’esthète.

Jeunes adultes et cancer: les services spécialisés se multiplient

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Jeune et Cancer. Deux mots en désaccord, deux notes qui sonnent faux. Pourtant, 2000 adolescents et jeunes adultes doivent chaque année composer avec cette nouvelle partition. Pour répondre aux besoins spécifiques de cette tranche d’âge, des unités de soins qui leur sont dédiées se développent : les services AJA (adolescents jeunes adultes).

Au 9ème étage de l’Institut de Cancérologie Gustave Roussy, à Villejuif, une aile est réservée aux adolescents et jeunes adultes (AJA) de 15 à 25 ans. (crédit: Jérôme Fouquet)

Quand Elsa passe la porte du Squatt, son grand sourire et son regard espiègle illuminent son visage. Ce n’est que dans un second temps que se remarque la sonde qui traverse sa joue droite. Bonnet rasta et sweat à capuche gris : elle a du style cette sauterelle guillerette de 15 ans. Et peu importe que le bonnet cache les cheveux qu’elle a perdus ou que le sweat molletonné dissimule les kilos qui lui manquent.

Elsa souffre d’un sarcome d’Ewing, une tumeur des os très rare touchant principalement les adolescents. Depuis septembre 2012, sa maman l’accompagne à l’Institut de cancérologie Gustave Roussy (IGR), à Villejuif, où Elsa suit des chimiothérapies. Mais au Squatt sa mère n’entre pas, et les blouses blanches non plus : c’est l’espace de détente des jeunes de l’unité La Montagne, qui soigne les adolescents et jeunes adultes (AJA) atteints d’un cancer. « Le Squatt porte bien son nom : c’est notre espace. On fait des Marios et des Fifas, on geek sur Facebook et Twitter, on glande comme tous les ados », s’amuse la lycéenne en première S.

Double exclusion

Créée en 2002 par le Docteur Laurence Brugières, l’unité La Montagne s’inscrit dans une dynamique de prise de conscience nationale : avec 2000 nouveaux cas par an détectés chez les 15-25 ans, le cancer n’est pas qu’une affaire d’adultes. Les tumeurs qui touchent cette tranche d’âge sont généralement assez rares, nécessitant des recherches scientifiques plus importantes pour offrir des protocoles de soins plus adaptés.

Mais comment répondre aux besoins spécifiques d’une tranche d’âge qui chevauche les services de pédiatrie et d’oncologie des adultes ? « Traités chez les enfants ils se sentent décalés, et chez les adultes ils se sentent isolés », résume Nathalie Gaspar, pédiatre oncologue à La Montagne.

Ils sont des jeunes avant d’être des malades. En plein bouillonnement, ils étudient ou s’insèrent dans la vie active et voilà que la vie leur joue un mauvais tour. Ce nénuphar malvenu percute le souci de l’image de soi, l’insouciance et les excès de cet âge-là. « C’est une épreuve doublement difficile. L’enjeu est qu’ils guérissent, mais aussi qu’ils deviennent des adultes à l’aise dans leur vie », explique Loïc Dagorne, infirmier coordinateur à La Montagne.

Elsa Roitman et Loïc Dagorne: une belle amitié est née à La Montagne (crédit: Camille Bordenet)

Electrochoc récent

La nécessité d’une prise en charge spécifique des jeunes atteints du cancer commence à être discutée au milieu des années 1990. En Europe, les Anglais sont précurseurs du mouvement: les fonds récoltés par l’association Teenage cancer trust permettent la création de plusieurs unités d’AJA outre-manche. En France, il faut attendre 1998 et le témoignage de quatre jeunes adultes durant les premiers Etats Généraux des malades atteints du cancer pour que se produise un réel électrochoc.

La Montagne est alors le premier service AJA à se créer dans le pays, en 2002. Mais ce n’est que dix ans plus tard, avec le second plan Cancer 2009-2013 de l’Institut National du Cancer (INCa) qu’est lancé un  « programme d'actions spécifiques vis-à-vis des adolescents atteints de cancer ».

"Préhistoire" de la prise en charge des jeunes                                                               

La mesure se traduit par des appels d’offres de l’INCa : en 2011, huit centres « d’excellence » en matière de prise en charge des AJA bénéficient de financements pour mettre sur pied des équipes mobiles. Lyon, Lilles, Nantes, Bordeaux, Grenoble et trois centres d’Île-de-France peuvent alors proposer aux jeunes de réels supports psycho-sociaux grâce à des infirmiers coordinateurs, des psychologues, des assistantes sociales et des conseillères d’orientation en renfort des médecins.

L’objectif ? Homogénéiser les pratiques entre oncologie adulte et pédiatrique. « Même au sein des services pionniers il n’y avait pas de réelle articulation jusqu’à l’an dernier. On est à la préhistoire de la prise en charge des AJA », souligne Julien Domont, oncologue des jeunes adultes à La Montagne.

Energie positive

Elsa se sent « mieux » car « plus à sa place » depuis qu’elle est entourée d’une équipe spécialisée dans un service où elle ne côtoie que des jeunes qui ont le même rapport qu’elle à la maladie : « Quand j’étais traitée en pédiatrie je ne sortais pas vraiment de ma chambre car je me sentais en décalage par rapport aux enfants », explique l’adolescente. Même sentiment d’exclusion côté adulte pour Paméla Sageot, patiente de 25 ans traitée pour une tumeur de l’abdomen : « Les adultes s’apitoient plus facilement sur leur sort alors qu’entre jeunes il y a une énergie positive ». Quant à Lucile Lombard, 21 ans et traitée pour une tumeur au cerveau au service AJA du CHU de Grenoble, elle voudrait travailler dans un service d’oncologie pour AJA quand elle sera guérie, « pour redonner ce qu’on me donne ».

Car à défaut de pouvoir inventer des remèdes miracles, les petites blouses blanches des unités AJA s’activent pour rendre le quotidien plus facile. Compréhension de la maladie, accompagnement de la douleur, préparation aux entretiens d’embauche, nutrition, choix d’une perruque, sexualité, fertilité ou problèmes d’addiction aux drogues : au moins un atelier par semaine est organisé au Squatt pour encourager les jeunes à sortir de leurs chambres et venir échanger. « À un âge où, avec ou sans la maladie, les pensées peuvent être noires et destructrices, l’objectif est de favoriser les réflexes d’auto-soin », explique Loïc Dagorne.

Le volet scolaire n’est pas négligé : l’école à l’hôpital propose des cours de soutien dans toutes les matières jusqu’au bac. Quant aux étudiants, les coordinateurs de l’AJA assurent leur médiation avec les universités. Elsa n’a pas arrêté le lycée, même si elle sait qu’elle redoublera sa première : « De toute façon j’ai déjà sauté une classe, je peux bien prendre un peu mon temps ! », plaisante-t-elle en regardant Loïc, son infirmier préféré.

Le rêve de Paméla quand elle sera débarrassée des traitements ? "Profiter de la vie comme jamais et fonder une grande famille" (crédit: Camille Bordenet)

 

Vers une spécialité médicale ?

Devenir infirmier coordinateur d’une unité de jeunes ne s’apprend pas que sur le terrain. Loïc Dagorne a suivi une formation intensive qui n’existe qu’à l’école de formation européenne en cancérologie (EFEC), à Paris. La plupart des professionnels qui s’intéressent aux jeunes atteints du cancer complètent leur formation au sein de l’association GO-AJA qui vise à encourager l’échange d’expériences à travers les régions. « Quelque chose d’extrêmement riche va naitre sur les années à venir », assure Nathalie Gaspar.

La réflexion dépasse le niveau national puisqu’un réseau européen de cancérologie des AJA « est en train d’être créé », annonce le Dr Brugières. « En Angleterre, l’oncologie des AJA est enseignée durant les années de médecine, ce qui n’est pas encore le cas chez nous », regrette la pionnière, qui espère qu’à terme ce domaine devienne une spécialité médicale.

Avec le troisième plan cancer qui sera officialisé en 2014, l’INCa ambitionne de faire du support psychosocial adapté aux AJA une exigence dans tous les établissements concernés pour que tous les jeunes malades aient accès aux mêmes droits.

Il n'y a pas d'âge pour aimer les clowns, même quand on est dans un service d'ados! (crédit: Camille Bordenet)

 

 

 

Eric Lembembe: torturé et tué pour avoir défendu les droits des homosexuels au Cameroun

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Proche collaborateur de Human Rights Watch qui a annoncé son décès, Eric Lembembe était reconnu au Cameroun pour son combat en faveur des minorités sexuelles et présidait la Fondation camerounaise pour le Sida, organisation qui luttait contre le VIH et pour les droits LGBT.

Eric Lembembe, journaliste et militant des droits homosexuels au Cameroun, a été retrouvé mort à son domicile de Yaoundé, lundi 15 juillet 2013. Certains de ses membres ont été brisés, son visage et ses mains ont été brûlés avec un fer à repasser et ses yeux ont été crevés. Rien n’indique pour l’heure que le jeune homme ait été victime d’un crime homophobe mais ses proches restent convaincus qu’il a payé son engagement. Les forces de police et le gouvernement n'ont pas souhaité se prononcer.

Eric Lembembe était engagé dans la défense des droits des minorités sexuelles de son pays au même titre que de nombreux autres militants, tels que Me Alice Nkom et Me Togue. Comme la majorité des défenseurs des droits homosexuels dans le pays, ces derniers ont souvent été l’objet de menaces de mort - allant jusqu’à déplacer sa famille à l’étranger pour Me Togue.

Au Cameroun comme dans 38 pays africains, la pénalisation de l’homosexualité génère des tensions sociales dérivant sur de fréquentes exactions à l’encontre des minorités sexuelles. Depuis 1972, l'article 347 bis du code pénal camerounais stipule qu'"est punie d'un emprisonnement de six mois à cinq ans ferme et d'une amende de 20 000 à 200 000 FCFA [soit 30 à 300 euros] toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe".

La mobilisation du président Biya plus que jamais nécessaire

Présidente d’Avocats Sans Frontières (ASF) Suisse et engagée depuis des années dans le combat pour la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun, Saskia Ditisheim n’avait « jamais vu ça», même lorsqu'il y a un an les jeunes Jonas Singa Kumie et Franky Djome étaient condamnés à cinq ans de prison dans des conditions sordides pour "fait d'homosexualité".

L'assassinat d'Eric Lembembe marquerait un "point de non retour" dans le contexte de violence envers les homosexuels, nécessitant "plus que jamais la mobilisation du président Paul Biya", selon Saskia Ditisheim. Malgré les sollicitations insistantes des ONG internationales comme Human Rights Watch, Amnesty International et Alternatives-Cameroun, le chef de l'Etat est jusqu'à présent resté silencieux sur la question.

« Alors qu’Eric Lambebe a été torturé et tué dans les pires conditions, la police nationale n’a opposé aucun scellé, aucune photo n’a été prise et aucune autopsie ni aucun constat médical non été effectués », constate l’avocate, désespérant que la situation puisse changer. « Puisque la police ne mènera pas l’enquête jusqu’au bout pour retrouver les responsables, nous ne lâcherons rien jusqu’à ce que le président Biya condamne publiquement cette attaque et toutes les violences homophobes », s’engage Saskia Ditisheim. L'avocate séjourne actuellement à Yaoundé avec la famille d'Eric et tente de mobiliser des fonds pour organiser les obsèques.

Open-space : l’électrocution comme sevrage contre Facebook

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En anglais "to poke" trouve comme traduction "pousser du doigt" soit, en langage Facebook, "taper sur l’épaule". "Poker" un membre du réseau social revient à le saluer sans lui envoyer de message écrit. (DR)

C’en est peut-être fini de notre procrastination numérique au bureau. Nous avons tous fait l’expérience de ces heures perdues, dès que notre patron avait le dos tourné, à traquer les photos de notre ex-petit ami en vacances à l’île de Ré au lieu d’avancer consciencieusement notre dossier. Bénite soit la réunion du lundi matin érigeant l’open-space en quartier libre.

Pour mettre un terme de façon radicale à nos pratiques peu professionnelles, Robert R. Morris et Dan McDuff , deux étudiants du Massachusetts Institute of Technology (MIT), viennent d’inventer le Pavlov Poke, un boîtier qui relie notre ordinateur à une surface métallique sur laquelle on pose son poignet pendant qu’on surfe. Dès qu’on est tenté de profiter d’un moment d’inadvertance pour traîner un peu trop longtemps sur l’onglet bleu, le boitier s’active et envoie une décharge électrique dans le poignet. La décharge n’est pas dangereuse, mais suffisamment désagréable pour préférer se remettre à plancher.

 

L’objectif des concepteurs ? A la façon du réflexe de Pavlov, obliger nos neurones à associer directement le concept de « buller sur Facebook » au stimulus « ça fait mal ». Un procédé extrême ? Non, si l’on considère que nos automatismes sur les réseaux sociaux deviennent des comportements grégaires.

Pas d’affolement pour l'instant, les patrons ne pourront pas user de cet instrument de torture des open-space puisque le Pavlov Poke n’est qu’un prototype non destiné à la vente. En attendant, cela n'empêche pas certains employeurs d’opter pour une solution moins extrême : bloquer l’accès aux réseaux sociaux depuis le lieu de travail.

SNCM : la croisière ne s’amuse plus

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Aux prises avec des déficits chroniques et un endettement important depuis de nombreuses années, le principal transporteur entre le continent et la Corse semble sur le point de couler. 

La SNCM exploite neuf ferries et cargos qui naviguent entre Marseille et la Corse, la Sardaigne, la Tunisie et l'Algérie. Mais cette flotte vieillissante n’est plus assez compétitive, notamment par rapport à celle de son grand concurrent : Corsica Ferries. (Le Napoléon Bonaparte, DR)

Vendredi 16 août sur le port de Marseille. L'El Venizelos a quatre heures de retard. Nombreux sont les passagers qui avaient déjà pris la route vers la cité phocéenne lorsqu’ils ont reçu le mail d’excuses de la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM). Après un embarquement interminable, le navire finit par lever l’ancre à une heure du matin.

En guise de lot de consolation, les passagers découvrent une épave. Les ascenseurs hors service depuis plusieurs mois les contraignent à grimper péniblement jusqu’au pont en soulevant chaises roulantes et poussettes.

Dans un décor qui n’a rien à envier aux films de séries Z, la traversée s’annonce éprouvante : les fauteuils et les cabines n’ont pas été nettoyés du précédent voyage, les draps usagés s’amoncellent dans les coursives, les néons blafards clignotent et les toilettes n’offrent ni savon ni papier. Et pour cause, l’émargement sur le tableau de bord indique que le dernier passage des agents de service remonte à avril.

Panique à bord. Les bébés braillent, les parents s’affolent : les hommes en bleu sont submergés par les récriminations. Même les vivres manquent : les clients qui avaient prépayé un repas sur le bateau seront remboursés faute de mieux. Les rares distributeurs ont fermé boutique. Le mal de mer ne passe pas : les clients jurent qu’ils enverront une lettre de réclamation et se feront rembourser.

Une société qui prend l’eau

Un exemple qui illustre « le point de non retour qu’a atteint la SNCM, prisonnière de ses échecs depuis de longues années » confie un matelot qui accepte de briser l’omerta qui règne en maître au sein de la compagnie. « Normalement tout ce qui se passe en mer reste en mer », confie le marin, pour excuser ses réticences.

Vieux navire en cours de rénovation loué pour plusieurs mois par la SNCM à la compagnie grecque Anek Lines en mai 2013, l'El Venizelos ne devait servir, à l’origine, qu’au trajet Marseille-Tunis. Restrictions budgétaires obligent, il a finalement été aussi affecté aux traversées vers la Corse alors qu’il est « beaucoup trop vieux pour enchainer toutes ces traversées dans les temps », explique le marin. La case ménage passe donc à la trappe.

En plus de voir l’image de leur compagnie ternie, les navigateurs se compromettent à une monnaie courante qui évite de prendre plus de retard à l’arrivée en Tunisie : « nous achetons les douaniers avec de la nourriture. De toute façon ils savent qu’ils trouveront de la drogue s’ils cherchent, et le bateau serait immobilisé encore plus longtemps. Donc on préfère qu’ils se servent dans nos cuisines et ferment les yeux ».

13 millions d’euros de perte

Désormais normalisées, ce genre de pratiques officieuses sert de rustine aux faiblesses structurelles que traverse la compagnie depuis sa privatisation, en 2006, sous le gouvernement Villepin. À sa création en 1969 sous le nom de « Compagnie générale transméditerranéenne » (CGTM), la SNCM était une entreprise publique détenue par la compagnie générale maritime et la SNCF. Suite à la privatisation de la compagnie en 2006, Veolia est devenu l'actionnaire majoritaire (à 66%), aux côtés de l’Etat (25%) et des salariés (9%).

Avec ces neuf navires grabataires, la SNCM a affiché 13 millions de perte pour 229 millions d’euros de chiffre d’affaire en 2012. Les chiffres devraient être similaires en 2013. La société marseillaise ne tient plus la compétition face à sa grande concurrente, Corsica Ferries (une autre compagnie française mais sous pavillon italien).

« Les 1600 salariés permanents représentent des charges de personnel énormes », constate Paul-Marie Bartoli, élu de la collectivité territoriale et Président de l’office des transports de la Corse (OTC) dans Corse-Matin. « La SNCM se maintient à flot seulement grâce aux subventions [de l'État, de l'Assemblée de Corse et de l'OTC] qui constituent le tiers de son chiffre d’affaire », poursuit-il.

600 postes supprimés

Dans son plan de transformation dévoilé le 20 juin, le conseil de surveillance de la SNCM a annoncé la suppression de 600 postes à temps plein (sans licenciements secs) et le renouvellement partiel de son outil industriel d’ici à 2014. « On a peur mais on reste par attachement sentimental », confie le matelot qui a appris à naviguer avec la SNCM. « J’ai comme un devoir de loyauté envers ma compagnie, c’est la première boite qui m’a engagé après ma formation, c’est une famille ».

Une famille que l’Elysée, Matignon, Bercy, le ministère des transports et les régions de Provence-Alpes Côté d’Azur et Corse ont tout intérêt à choyer, s’ils ne veulent pas que des manifestations explosent dans la cité phocéenne et sur l’Île de Beauté. La SNCM représente en effet un secteur essentiel de ces deux régions en même temps qu’un emploi « quasi-assuré » pour les marins corses, explique le matelot.  « S’il le faut, on montera tous au front pour sauver la compagnie qui nous donne du travail. La SNCM c’est notre identité avant d’être notre gagne-pain ».

Pour sauver la compagnie et redorer son image face aux concurrents, Jean-Marc Janaillac, PDG de la filiale Transdev de Veolia et proche de François Hollande, avait préconisé de remplacer les neuf bateaux. Une utopie pour le moins irréalisable. Veolia et l’Etat vont commencer par renouveler quatre navires qui devraient entrer en service entre 2016 et 2018. Quant au Venizelos, symbole du naufrage de la compagnie, « on cherche à s’en débarrasser au plus vite », explique le marin, certain que l’avenir réserve un horizon meilleur à sa compagnie.

220 millions d’euros à rembourser

Comme si la note n’était pas assez salée, la SNCM a écopé d’une amende de 220 millions d’euros par la Commission européenne en mai dernier, suite à une plainte déposée par Corsica Ferries. En cause, des aides publiques qu'elle avait perçues et qui sont, selon Bruxelles, « injustifiées » au nom des règles européennes de concurrence.

Malgré le soutien inconditionnel du ministre des transports Frédéric Cuvillier, la justice européenne campe sur ses positions et vient de refuser à la SNCM, vendredi 30 août, le délai de remboursement plus long réclamé par le gouvernement français.

Reste à savoir qui paiera puisque la SNCM n’est pas en mesure d’éponger ses dettes. En tant qu’actionnaire principal, Veolia est attendu au tournant mais est en proie à une crise de gouvernance rendant le dossier encore plus compliqué.

La session du vendredi 6 septembre dédiée à l’appel d’offres de service public maritime suscite beaucoup d'espoirs. Elle sera l'occasion, pour l’assemblée de Corse, de désigner le prochain délégataire de la liaison entre l’Île de Beauté et le continent, jusqu’en 2024.

En juin, les élus de l'île avaient rejeté un premier appel d'offres du groupe SNCM-Méridionale qui avait été jugé « techniquement satisfaisant mais financièrement insuffisant » par Paul-Marie Bartoli, à l’inverse de celui du concurrent Corsica Ferries. Cette fois, avec une proposition à 96 millions d'euros, le consortium devrait l'emporter, offrant ainsi une bouffée d'oxygène à la vieille compagnie.

 

 

Conservation des ovocytes, le débat ravivé

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(crédit AFP)

La congélation des gamètes féminins est, à ce jour, autorisée uniquement pour raisons médicales, dans les cas de cancers notamment. Une société savante d'obstétriciens, qui propose de l'étendre pour convenance personnelle, est sous le feu des critiques.

Mon enquête au long cours sur la congélation sociétale des ovocytes en édition abonnés:

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/04/11/conservation-des-ovocytes-le-debat-ravive_3158417_1650684.html

Elle sera dans l'édition papier du supplément Sciences&Techno, ce week-end.

Mes dernières publications


Cameroun : « le président doit déclarer un moratoire pour le délit d’homosexualité »

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Saskia Ditisheim est présidente d’Avocats Sans Frontières Suisse (ASF Suisse). Elle a fait partie de la défense de Jonas Singa Kumie et Franky Djome, deux jeunes Camerounais acquittés en appel lundi 7 janvier après avoir été condamnés fin novembre 2011 à cinq ans de prison pour "fait d'homosexualité".

Les trois avocats de Franky et Jonas. De gauche à droite: Michel Togué, Alice Nkom et Saskia Ditisheim (crédit: Saskia Ditisheim)

Le cas de Franky et Jonas est devenu emblématique de la lutte pour la dépénalisation de l’homosexualité au Cameroun. Comment s'est organisée la mobilisation ?

Saskia Ditisheim : L'affaire a fait la une des journaux au Cameroun et pour la première fois, les médias étrangers s'en sont également saisi. En octobre 2012, le président Paul Biya a reçu une lettre de plusieurs organisations internationales et nationales lui demandant l'abolition de l'article 347 bis du code pénal selon lequel l'homosexualité est passible de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement. Le gouvernement n'a apporté aucune réponse. Les ambassadeurs de Grande Bretagne et des Etats-Unis ont publiquement évoqué le cas de Jonas et Franky. Mi-novembre 2012, Rubert Colville, le porte parole du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme a rappelé que l’application de l'article 347 bis CP était une violation flagrante des engagements pris par le Cameroun en la matière.

Cette pression internationale est-elle de nature à faire plier le président Biya ?

Saskia Ditisheim : L'étau se resserre et le pouvoir doit effectivement prendre le relais de la justice. L'homophobie est très ancrée dans les mentalités camerounaises, mais le président doit honorer ses promesses vis-à-vis de la communauté internationale en déclarant un moratoire pour le délit d'homosexualité. C'est à lui de convaincre l'opinion publique que chacun a le droit de disposer librement de son corps, qu'il en va du respect de la dignité humaine. Je pense que Paul Biya aura à cœur de ne pas déplaire à ses principaux partenaires économiques dont la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et le Canada. Il y a urgence. D'autant que le Cameroun risque d'être épinglé lors de l'examen périodique des Nations Unies d'avril 2013 qui évalue les pratiques en matière des droits de l'homme de tous les pays du monde. Plusieurs ONG ont d'ores et déjà déposé des rapports accablants.

La remise en liberté de Jonas et Franky les expose-t-elle à des représailles ? Les juges sont-ils eux aussi menacés ?

Saskia Ditisheim : Les Camerounais ont été outrés par cet acquittement. Personne ne s’attendait à ce que les accusés soient remis en liberté, surtout après la confirmation de la condamnation de Roger Mbede à trois ans de prison pour homosexualité le 17 décembre dernier. Je salue le courage de ces trois juges, qui risquent effectivement d'être victimes de menaces, d'intimidation ou de faits plus graves. Les risques sont réels. Roger Mbede a manqué d’être assassiné le soir de l'audience d'appel en novembre dernier. Avant le verdict, les auteurs des menaces lui avaient écrit que soit "il retournait en prison soit il irait en enfer". Le même sort est à craindre pour Jonas et Franky. Force est de constater qu'ils sont plus en sécurité à la prison qu'en liberté. La vox populi estime qu'ils méritent de mourir tout comme nous, leurs défenseurs, car "nous imposons des actes contre-nature". Si les organisations internationales humanitaires et les Ambassades ne réagissent pas à temps, je crains le pire.

Au nom du père, du fils et du Bangladesh

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À travers Desh, Akram Khan dialogue avec son père et renoue avec ses origines Bangladaises. (Photo : Richard Haughton)

Carnet de route intime et premier solo du chorégraphe de renommée internationale, Desh est à ce jour le travail le plus personnel d’Akram Khan. A 38 ans, le danseur dévoile un pan de ses identités mouvantes et rend hommage à la figure paternelle, si longtemps reniée.

« Je n’ai jamais vraiment été patriote parce que je ne me sens jamais entier : quand je suis en Angleterre je me sens Bangladais ; quand je suis au Bangladesh, je me sens Anglais », résume Akram Khan à propos du conflit d’origines qui sous-tend son spectacle.

Dans la première version de Desh, la figure paternelle était totalement absente et toutes les scènes parlaient de sa mère. Trois semaines avant le bouclage, Ruth Little, le dramaturge, confie au chorégraphe : « en ne parlant pas de ton père dans la pièce, tu ne parles en fait que de lui. Tu ne veux juste pas l’admettre ».

Fâché avec tout ce qui a trait à son père et ses origines, le fils nie : « je me suis donné la nuit. Le lendemain matin, c’était une évidence. En trois semaines nous avons changé la narration du spectacle pour faire de mon père le fil conducteur ». Desh commence ainsi par la fin : la mort fictive de son père, Aba. « Quand je lui ai annoncé la mise en scène de sa mort la veille de la première il était un peu contrarié. Après il a surtout été très fier d’être le héros de ma pièce ».

Desh : patrie, nation, terre

Sous le conflit ouvert qu’il a longtemps nourri avec son père se terre une douleur plus enfouie, celle de sa quête identitaire. « Jusqu’à la création de Desh j’étais en colère contre la communauté bangladaise parce qu’ils ne m’ont jamais soutenu dans mon travail. C’est la communauté indienne de l’ouest dans laquelle je n’ai pas de racines qui m’a encouragé et poussé. Les Bangladais sont passifs, ils veulent juste être heureux entre eux et regarder leurs films bollywoodiens. Ils ne sont pas ouverts aux subtilités artistiques, je ne pouvais pas avoir ma place là-dedans ».

Extrait de Desh, l’évocation de la guerre civile contre le Pakistan pour l’indépendance du Bangladesh. (Photo : Richard Haughton)

Danser le père et danser la patrie n’auraient donc « jamais » pu être sa propre initiative. « Je savais que je voulais faire un solo, mais je ne savais pas à propos de quoi. J’ai longtemps pensé que mon identité c’était Londres ». Tim Yip, son directeur artistique (oscarisé pour Tigre et Dragon) l’oriente en douceur le jour où ils font connaissance à Hong Kong.

« Il m’a conseillé de chercher plus loin, de regarder du côté de mes racines, du côté de mes parents et de mes grands-parents, du Bangladesh ». Doucement, Akram apprivoise l’idée et tempère son âpreté. Desh (mot sanskrit qui signifie la « patrie », la « nation » mais aussi la « terre ») devient alors son voyage initiatique en même temps qu’une catharsis qui lui permet de pardonner.

Talon d’Achille du chorégraphe

Pour ouvrir cette nouvelle page, Akram est allé puiser l’inspiration au Bangladesh même, pendant dix jours, entouré de toute son équipe. En ressortent des thèmes difficiles, comme la guerre civile contre le Pakistan pour l’indépendance du Bangladesh, allégés par des moments d’humour émouvants : la trouvaille fabuleuse du dessus de crâne chauve d’Akram maquillé en vieillard, l’enregistrement de la voix d’une petite fille bangladaise fan de Lady Gaga qui raconte un conte ou encore les pas de pop de Mickael Jackson, inépuisable source d’inspiration du chorégraphe. Akram Khan confronte avec tendresse les mondes différents qu’ont connus son père et lui.

Peut-être est-ce pour ne pas trop se dévoiler qu’il a décidé de maquiller sa danse sous une impressionnante couche de décors, rapprochant ce spectacle du cinéma. A aucun moment pourtant la mise en scène épique n’éclipse l’intimité de la danse. Dans des décors immenses et compliqués réalisés par Tim Yip, la chorégraphie parvient à convoquer des sentiments subtils et multiples.

Avec une virtuosité impressionnante, Akram Khan interprète ainsi une multitude de personnages durant une heure et demie, alors qu’il se remet à peine d’une rupture du tendon d’Achille qui l’avait obligé à reporter ses représentations l’an dernier. Créé à Londres en 2011, Desh a nécessité dix-huit mois de répétitions, durant lesquels Akram Khan a invité des artistes comme les chorégraphes Sidi Larbi Cherkaoui, Shantala Shivalingappa ou Samuel Lefeuvre à l'épauler dans cette équipée identitaire courageuse et captivante. En choisissant de revenir sur ses origines, Akram Khan est allé jusqu'au bout de lui-même avec sincérité. D’ici ses 45 ans, il songe à une reconversion dans le cinéma, notamment pour tourner un film muet sur Desh, inspiré de l’univers de Charlie Chaplin.

(Akram Khan a l’habitude des décors grandioses comme ici dans Desh : il a chorégraphié la cérémonie d’ouverture des JO de Londres 2012 avec le réalisateur britannique Danny Boyle. Photo : Richard Haughton)

Chorégraphe et interprète ovationné

La retraite semble pourtant loin à l’heure où Akram Khan est l’un des chorégraphes contemporains les plus reconnus de sa génération : Desh a remporté un Laurence Olivier Award et Akram Khan est membre de l’Ordre de l’Empire britannique depuis 2005 pour services rendus à la danse, entre autres de ses prix.

Pour autant, il ne parvient toujours pas à définir sa danse, par peur d’être « enfermé dedans ». Il reconnait être « tyrannique quand il le faut » avec ses danseurs. Pour parler de son style, il évoque simplement une rapidité et une précision des mouvements, le fait qu’il bouge « comme un animal d’eau » ou qu’il emprunte à « toutes les traditions », en faisant converger le répertoire traditionnel kathak à celui de la danse contemporaine. Sa prochaine source d’inspiration verra le jour en mars : il sera père pour la première fois.

Cet article est publié en parallèle sur le pure-player l'Avant-Post

 

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